Dans cet article, je vous invite à envisager un regard différent.
Ce qui compte n’est pas tant de mettre le focus sur le fait d’être un bon ou un mauvais professionnel.
Mais d’évaluer si tu es un professionnel en cheminement.
Les 2 difficultés inhérentes aux métiers de l’humain
Les métiers relationnels ont deux caractéristiques qui font de ces métiers aussi bien les plus complexes que les plus stimulants.
1. Chaque être humain est irréductiblement complexe et singulier
Bien que nous disposions de modèles servant de balises dans cette obscurité complexe, l’individu qui se tient devant nous se distingue toujours par son unicité.
Il existe plus de 400 courants différents en psychothérapie.
Cela illustre bien la diversité des points de vue et approches possibles sur l’autre.
De manière paradoxale, il y a tellement de propositions de repères différents, que cela en devient déroutant, il y a de quoi être perdu.
2. La zone d’accompagnement est un espace collaboratif
Nous avons des contributions et des leviers d’action, mais jamais une garantie que l’autre évolue.
L’autre aussi a ses contributions et ses leviers d’action.
Nous n’agissons pas sur une zone de contrôle total, mais sur une zone d’influence.
Les études indiquent que 50% des prescriptions médicamenteuses ne sont pas suivies par les patients.
Même si c’est l’espace de liberté du patient, le praticien a tout de même des marges de manœuvre pour y répondre.
La recherche pointe l’importance de la qualité de la relation comme facteur de confiance dans la prise du traitement.
Il s’agit donc toujours de faire avec l’autre, à partir de là où il en est et là où il est en capacité.
Plutôt qu’à partir de l’idéal du professionnel.
Changer d’état d’esprit
Nous sommes tentés de catégoriser, d’évaluer, de définir une fois pour toutes si nous sommes un bon ou un mauvais professionnel.
Je vous invite à sortir d’une accroche trop forte au résultat, comme s’il existait un examen final qui évaluerait le fait d’être enfin ce professionnel compétent, pour aller vers la mise en place d’un processus de progression et de cheminement à long terme.
En mettant en place ces processus de progression, nous pouvons être soulagés de cette question de nos compétences, car nous faisons de notre mieux pour cheminer tout en apprenant à composer avec nos limites actuelles.
Nous pouvons garantir le processus de progression, mais plus rarement le résultat.
Ce qui compte n’est pas tant d’être efficace pour tout le monde, un idéal inaccessible, que d’avoir un lieu pour penser et dépasser les endroits de difficultés.
Reconnaître notre part d’impuissance
Les métiers relationnels nous contraignent à devoir composer avec un sentiment d’impuissance.
Nous ne pouvons pas être tout-puissants lorsque nous sommes dans la collaboration avec un autre. Cela nous pousse à devoir accepter nos limites.
Il s’agit ainsi d’appréhender cet espace subtil qui consiste à ne pas nier ce sentiment d’impuissance, et à ne pas non plus tomber dans la résignation.
L’enjeu réside dans notre capacité à accepter ce sentiment d’impuissance, nous incitant humblement à reconnaître nos limites et respecter l’espace de liberté de l’autre, tout en exploitant au maximum nos propres marges de manœuvre.
En échangeant régulièrement avec des collègues, je repère à quel point ce sentiment de ne pas être compétent est fréquent et très variable d’une journée à l’autre, selon comment les accompagnements se passent.
Ce sentiment est tellement fréquent que ça vient parler à des endroits plus de la structure même de l’accompagnement humain, plus que de nos réelles compétences.
Nous avons ainsi des limites structurelles liées au métier même de l’accompagnement humain :
- Nous ne pouvons pas nous substituer au pouvoir d’agir de l’autre.
- Nous ne pouvons pas convenir à chaque personne.
Mais heureusement, nous avons aussi des limites plus évolutives (faire évoluer nos compétences et connaissances en se formant, en lisant, en se questionnant…).
Passe de la compréhension à l’intégration
avec les prochaines formations
- Formation à l’intelligence emotionnelle
Cycle de MARS 2025 : Encore quelques places
Cycle de SEPT 2024 :COMPLET
- Formation en Psychologie Positive
Cycle de MARS 2025 : Bientôt complet
Cycle de SEPT 2024 :COMPLET
Le sentiment de ne pas être compétent me semble inhérent à notre pratique.
Face à l’infinie complexité de l’être humain, nous ne pouvons être qu’humble.
Des certitudes sur notre pratique ont parfois comme fonction de tenir à distance des sentiments comme l’impuissance, l’incertitude, la difficulté à aider.
Même les pratiques ayant reçu le plus haut niveau de preuve scientifique ne démontrent pas une efficacité pour 100% des personnes dans l’échantillon.
S’accrocher au sentiment de compétence nous éloigne parfois de la compétence
J’anime une formation à l’animation de groupes de psychologie positive.
Souvent, les animateurs en formation se sentent facilement menacés et vulnérables concernant leur besoin de se sentir et d’apparaître compétent.
Par exemple, lorsqu’un participant relate une expérience désagréable lors d’une pratique, l’animateur peut avoir le sentiment qu’il a mal fait quelque chose.
Cela peut générer chez lui une réaction défensive en évitant le sujet ou en ayant une phrase de réassurance magique pour ne pas se laisser trop déstabiliser et vite passer à autre chose.
L’animateur perd ainsi en flexibilité psychologique puisqu’il cherche à lutter contre sa propre émotion désagréable.
Il ne parvient pas à faire de la place à l’émotion du participant en difficulté pour justement lui permettre d’en faire quelque chose.
En réalité, ce retour d’expérience d’un participant ne vient pas forcément parler de la compétence de l’animateur.
En effet, chacun vit les pratiques différemment et il est très fréquent d’avoir de l’inconfort émotionnel avec des pratiques de psychologie positive.
Une pratique de gratitude peut générer une intense joie, et à d’autres moments de la tristesse, notamment si le participant a choisi une personne décédée à qui il n’a jamais adressé ses mots de reconnaissance.
Mais cela n’est pas un souci que nous devons nous empresser de mettre sous le tapis.
Cette tristesse n’est pas indésirable, elle vient indiquer un besoin précieux qui n’a pas été satisfait.
Aider la personne à en prendre connaissance, normaliser son expérience et lui permettre de repérer ce qu’elle souhaite faire de cette information dans le présent est une manière de lui permettre de composer avec cet inconfort.
Ainsi, rester au contact de l’inconfort émotionnel de la personne permet d’en faire quelque chose comme enrichir le niveau de connaissance de soi-même et de ses propres besoins.
On aide la personne à s’ouvrir avec courage et sécurité aux informations émotionnelles inconfortables, mais pour autant très précieuses sur elle-même.
Si ce sentiment nous amène à éviter, par honte, les lieux de progression (formation, supervision…), alors nous ne sommes plus en cheminement, nous sommes dans un cercle vicieux qui inhibe la progression.
Une opportunité de rendre le pouvoir d’agir à la personne
Reconnaître notre impuissance est une opportunité pour rendre le pouvoir à l’autre, ce qui permet de rouvrir des portes quand elles semblent condamnées.
Plutôt que de vouloir montrer une illusion de compétence, rendre visibles nos hésitations et nos doutes permet à l’autre de s’engager et de trouver sa place pour permettre une co-résolution des problèmes rencontrés au cours de l’accompagnement :
Pour m’assurer qu’on continue dans la bonne direction, j’ai besoin d’avoir votre retour sur comment vous vivez les séances et ce qu’elles vous apportent.
Sentez-vous libre d’exprimer pleinement votre ressenti, c’est une opportunité de réajuster notre route si nous ne prenons pas le chemin qui convienne le mieux. »
Les leviers de cheminement
J’ai été vraiment soulagé de la question d’être un bon professionnel, lorsque je me suis senti vraiment aligné avec l’instauration de ce processus de progression qui était fait de 3 leviers pour moi :
- Me former régulièrement
- Être supervisé par un professionnel plus expérimenté
- Avoir un groupe d’analyse de la pratique et d’échanges entre pairs
Me former régulièrement, en plus de réfléchir et de faire des liens avec des situations concrètes, c’est une vraie bulle d’oxygène dans ma pratique.
Les formations m’ont également amené un sentiment d’appartenance à une communauté de professionnels en plus de faire évoluer rapidement ma courbe d’apprentissage.
Dans les formations, il y a la théorie, mais la vraie valeur des formations se situe surtout dans ce qui ne figure pas dans le diaporama.
Quand toutes les années d’expérience, de lecture et de formation du professionnel sont condensées en un retour percutant.
Je repère que j’apprends le plus quand j’entends des professionnels réfléchir à voix haute sur les situations qu’ils rencontrent.
Il faut cependant savoir distinguer les professionnels du savoir et les professionnels du terrain. Les deux peuvent apporter de la valeur, mais pas au même endroit.
Connaître un sujet par l’expérience n’a rien à avoir avec le fait de le connaître par la théorie seulement.
J’ai trouvé le plus de valeur dans les formations dispensées par les personnes ayant une maîtrise de ces deux aspects : théories et pratiques.
Utiliser notre sentiment d’incompétence comme information
La question à se poser est de repérer de quoi ce sentiment vient vraiment parler.
- S’il parle d’un manque de compétences ou d’outils pour aborder une situation, alors cela nous permet d’activer des leviers de progression en repérant des lieux pour cheminer spécifiquement à l’endroit concerné.
- S’il parle de notre perception subjective de nos compétences, alors cela ouvre l’opportunité de nous questionner sur nos schémas, nos critères et nos exigences pour évaluer nos propres compétences.
- Enfin, s’il semble moins parler de nous que des processus dans lesquels la personne accompagnée est prise, alors cela nous donne des opportunités de repérer ces processus et de permettre à la personne accompagnée d’en faire quelque chose.
Sans fil rouge conducteur à tirer, peut-être est-ce le signe que la personne ne m’apporte pas assez d’éléments pour travailler.
Sans bûches de bois, le feu de la thérapie ne peut pas prendre.
Et le processus du patient de ne rien apporter comme contenu devient un matériau en soi de travail.
Cela devient la cible thérapeutique principale : résoudre ce qui freine le processus d’accompagnement.
Peut-être, est-ce une manière de se protéger du vrai sujet douloureux en évitant de l’aborder, avec le besoin d‘être rassuré sur l’accompagnement et la relation.
Ou c’est-peut être le signe que la personne communique uniquement de manière floue et abstraite, ce qui peut avoir une fonction défensive de tenir à distance les vrais sujets concrets.
Cela peut parfois être utile pour avoir une vision globale, mais cela peut aussi contribuer à annuler le processus thérapeutique, car il n’y a pas de possibilité de travail durable sur un sujet clef.
C’est donc ce processus de changement de sujet qui est intéressant d’explorer ainsi que sa fonction.
Cela vient probablement parler de la manière dont la personne aborde les sujets.
Ce fut le cas pour une patiente, mon ressenti d’ennui m’a amené à observer qu’elle abordait toujours les sujets avec un niveau de détail énorme concernant les faits. Ce qui laissait très peu de place à son ressenti et me laissait seulement 3 minutes en fin de séance pour réagir.
En faisant cela, cela lui permettait de tenir à distance ses émotions et mes réactions.
Sa mère était relativement jugeant et contrôlante. En me laissant de la place, ma patiente prenait le risque que je réagisse comme sa mère avec désapprobation et empiètement.
Lui exprimer avec empathie mon observation sur sa manière d’investir les séances et la rassurer sur ses craintes lui a permis d’expérimenter une autre manière de rentrer en relation.
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Joran Farnier
Psychologue, enseignant, formateur
Passionné par la psychologie, j’ai fondé l’Institut de Psychologie Positive Appliquée pour faire le pont entre les recherches et la pratique de terrain.
Nous formons les professionnels de l'accompagnement pour leur permettre d'exercer avec plus de clarté, d'efficacité et de confort dans un métier complexe.
Merci pour vos articles toujours très enrichissants !
Merci, c’est tellement juste… cet article me parle beaucoup.
Merveilleuse synchronicité. Cet article apparaît au bon moment pour moi. Merci pour cet article et vos partages.
Bonjour Joran,
Merci pour cet article. Il est très utile à ma réflexion tant sur le sentiment que les personnes peuvent nourrir sur leurs (non ?) compétences en général que sur celui particulier de la compétence dans la relation d accompagnement de l autre.
Belle année 2022 a toi.
Bonjour,
très intéressant !
j’ai pu faire l’analogie avec ma pratique professionnelle comme Chef d’entreprise et Manager.
Nous échangeons souvent entre pairs et ce que vous évoquez sur les limites professionnelles et nous le rencontrons souvent quand nous voulons débriefer un collaborateur ou le faire « grandir ». Nous rencontrons deux limites dans notre exercice :
le fait de ne pouvoir organiser de réunions de régulations autour des questions soulevées. C’est très compliqué en entreprise. Les gens n’osent pas évoquer leurs émotions.
Que nous sommes parfois démunis aux regardes de nos propres sentiments et émotions et de celles de nos collègues. Je fais souvent intervenir un coach dont c’est la spécialité.
Bonjour
C’est un article très intéressant. Je travaille sur le sentiment d’efficacité personnelle dans un collectif apprenant. Pouvez -vous me donner des sources renseignées par la recherche qui ont étayé votre article ? Merci
Bonjour,
Merci pour votre retour.
Cet article est plus une réflexion qualitative et réflexive sur le terrain qu’appuyé par des travaux scientifiques.
Plusieurs concepts et courants ont influencé les réflexions de cet article : l’approche systémique, la thérapie d’acceptation et d’engagement, les compétences émotionnelles notamment la capacité de compréhension émotionnelle, la notion de transfert et de contre-transfert.
Bonne continuation dans votre travail de recherche,
Joran
Merci pour cet article qui résonne beaucoup pour moi, à un moment de mon évolution en tant que thérapeute où mon syndrôme de l’imposteur revient en force.
Les exemples que vous donnez, tant sur la manière de « rendre visible nos hésitations et nos doutes » que sur « les processus dans lesquels la personne accompagnée est prise », me sont utiles et précieux.
Un grand merci pour ces partages toujours enrichissants pour notre pratique. Je reviendrai la phrase selon laquelle le feu de la thérapie ne peut partir sans les bûches du patient. Et oui, nous ne sommes pas tout puissants et encore moins si le patient n’est pas prêt pour le changement. Dans le travail avec les adolescents, souvent venus en thérapie sur injonction des parents, c’est quelque chose qui peut se rencontrer. Merci de l’évoquer et de nous y faire réfléchir …
Bonjour Joran,
Je tiens à t’exprimer toute ma gratitude pour tout ce que tu transmets.
J’ai beaucoup apprécié tes interventions au cours du DU DSMR 2022-2023, et je suis ravie de pouvoir continuer à te lire à travers tes articles.
Celui-ci me touche particulièrement en tant qu’intervenante en Education Thérapeutique du Patient et en tant que formatrice.